Depuis l’apparition des hashtag Balancetonporc et MeToo, on assiste à une vague de réactions moralisatrices de la part d’hommes et de femmes. Ce texte est une réponse à une de ces réactions qui décrédibilisent la parole des femmes qui témoignent de violences qu’elles ont subi, sous prétexte qu’elles ont utilisé un de ces hashtag, un de ces « gros mots » sur les réseaux sociaux.
Cette
tribune me fait l'effet d'une excuse. « Excusez-nous »,
ou plutôt, « Excusez-LES ! C'est les nerfs, les
émotions ! » qui inscriraient « LA lutte féminine
dans l’irrationnel ». Entre émotions et irrationalité il
n'y a donc qu'un pas. Or les femmes qui se battent contre les
violences qu'elles subissent sont souvent très « émues »,
tristes, honteuses, hargneuses, aigries, acariâtres ou très en
colère (c’est le minimum), ce qui ne les empêchent pas de monter
au créneau et de se battre de manière tout à fait rationnelle.
Avec leurs tripes et avec leurs cerveaux, les deux en même temps !
Acariâtres (adjectif utilisé de manière péjorative dans la
tribune) signifie d'abord « tenir tête dans la confrontation »
(avant de signifier « de mauvaise humeur »), ce qui est
plutôt une bonne chose dans cette situation.
Face
à la violence on ne réagit pas toujours comme si de rien n'était.
Même après. Des mois, des années après. Même derrière son écran
d'ordinateur. Parce qu'on n'a pas pu y répondre sur le coup ou au
moment où on l'aurait voulu. Même quand on ne s'en souvient plus
vraiment parce qu'on a tout fait pour l'oublier, il reste toujours un
petit quelque chose qu'on n'a pas digéré. Et ça sort comme ça,
avec les « mauvais mots » - le salaud, le connard, le
vautour, le porc... selon les sensibilités -, mais on sait toujours
à quoi cela fait référence. « Balancer son porc » sur
fb et tw c'est donc pour beaucoup de femmes, raconter ce qu'elles ont
subi sans forcément dénoncer des personnes, sans poser de noms mais
au moins des mots. Des mots qui raclent, des mots crus, des mots qui
pleurent, des mots qui gueulent, des mots qui rient aussi. Allez lire
un peu ce qu'écrivent vos copines, vous verrez il y a des perles.
Nombreuses sont celles qui usent de l'humour pour prendre du recul
sur ce qui s'est passé, et sur ce qui se passe encore. Il y a
peut-être « des accents presque épiques, comme dans une
longue litanie de chœur dans une tragédie grecque » (analyse
l’auteure de la tribune), quoi que je ne crois pas avoir lu de
témoignages où les auteures utiliseraient ce mode pour décrire des
situations vécues, elles laissent ça au cinéma et aux médias.
Parfois,
ça sort avec un ou des noms. Pourtant peu de noms sont sortis compte
tenu du nombre d'agresseurs. Le nombre de femmes ayant utilisé les
hashtag (MeToo/Balancetonporc) se comptent par dizaines (je crois
mêmes centaines) de milliers, vous imaginez le nombre d'agresseurs ?
Peu de femmes ont dénoncé directement. Celles qui ont osé, et
bien, c'est dur pour l'agresseur, mais « excusez-Les »,
elles n'ont pas fait exprès, c'est sorti tout seul. Non !
Raconter derrière son écran d’ordinateur n’est pas une preuve
de lâcheté de la part des femmes mais plutôt une preuve du manque
de cadres dans lesquelles celles-ci peuvent témoigner. Cette
décision n'est pas simple à prendre et il ne s'agit pas seulement
de méchanceté ou de colère gratuite, c'est souvent un acte de
courage qui demande mure réflexion.
Tout
ce qui sort sur les réseaux sociaux, ça sort parce que les femmes
ont un peu plus de courage, plus de force. La force de ce qui se
passe en ce moment c'est le nombre, la masse. Se sachant moins
seules, nous les femmes, nous osons (enfin) parler. Ces mots qui
sortent de partout, ces femmes qui parlent bien ou mal donnent du
courage aux autres. Se reconnaître entre nous, ça fait partie de la
lutte : s’unir pour être plus fortes et pour « frapper »
plus fort. Montrer que nous savons que nous ne sommes pas seules et
que nous prenons conscience de notre force. Ça fait peur, beaucoup
plus qu'un « peuple opprimé » qui se venge « contre
son tortionnaire » dans une « pièce de théâtre
baroque » (dixit l'auteure).
La
peur que ces mots dégagent, la peur de la dénonciation ou la mise
sous pression d'un certain nombre de personnes est une tactique, un
moyen de lutter contre les violences. Pour que ça n'arrive plus.
Pour mettre en garde. Attention ! C’est bien une menace envers
les agresseurs avérés ou potentiels. J'ai entendu pas mal de
journalistes dire que « maintenant les hommes ne peuvent plus
lever le petit doigt sans être accusés de viol ». C'est
tellement miteux et révélateur, mais ça marche, ça
parle, ça rassemble. Ça tombe sous ce merveilleux bon sens commun
(entendez par là le sens des hommes). C’est un argument de plus
pour que rien ne se dise, que rien ne puisse être entendu :
« Taisez-vous sinon on va croire que tous les hommes sont des
violeurs ! » Tous les hommes ne sont pas des violeurs
effectivement. Mais cette façon de blâmer la parole faisant
référence aux violences faites aux femmes par les hommes est une
manière de défendre la culture du viol. Autrement dit, de défendre
le fait que le corps des femmes appartient aux hommes et que ces
derniers ont le privilège d’en faire ce qu’ils veulent. Nos corps leurs appartiennent.
Ne
pas admettre que cette lutte-là, contre les violences, comme
d'autres luttes qui concernent les femmes, NE pourra PAS se faire
sans violence, c'est être un peu trop naïf et c'est surtout ne pas
regarder la réalité en face (à lire : le texte de Christiane
Rochefort sur les couteaux). Les mots sont tranchants, violents :
oui, vous défendez la culture du viol. Oui, en disant cela vous
collaborez. C’est violent de l’entendre.
Dire
que cette violence est du même ordre que celle des agresseurs (comme
expliqué dans la tribune), c’est minimiser les violences faites
aux femmes ou au contraire accuser les femmes d’une violence
démesurée. Elles devraient encaisser et se taire. En faisant
référence à René Girard dans son livre « Mensonge
romantique et vérité romanesque » (?!), l’auteure de
la tribune explique que les victimes s’identifieraient aux
bourreaux et seraient en prise avec des « instincts contagieux
et destructeurs ». Si cela peut arriver à certaines victimes,
ce n'est pas une règle générale. Il serait intéressant d’analyser
les deux types de violences (celle des hommes agresseurs et celles
des femmes qui y répondent) : les armes, les fréquences, les
structures sur lesquelles elles se reposent, les solidarités, les
institutions, les cadres juridiques... C’est totalement inégal,
incomparable ! Tout comme les chiffres : le nombre de
femmes victimes de harcèlement, de violences, de viol, de meurtre…
et le nombre d’hommes victimes des mêmes types de violences. Mais
les femmes qui parlent ne cherchent pas à minimiser le nombre de
victimes masculines. Le réflexe le plus répandu lorsque cette
parole émerge fait dire à de nombreuses personnes que « les
hommes battus, ça existe aussi » ! Personne n'a dit le
contraire mais comparer est totalement stérile.
A
la fin de la tribune, l’auteure nous propose d’ailleurs de
comparer, de prendre un autre point de vue et d'imaginer la même
chose dans le « cas inverse », c’est-à-dire : et
si le hashtag #Balancetasalope était inventé ? (Salope étant
donc l’inverse de porc !) Les femmes selon elle, seraient
indignées. Les vilaines ! Sur le Blog de Soral, quelqu’un y a
pensé aussi : « Après
"Balance Ton Porc" pour les femmes, "Balance Ta Pute"
pour les hommes ? » demande l’auteur.
Ces
discours font partie du même système. Ils nous expliquent à nous
les femmes (car c'est bien à nous qu'ils sont adressés) qu'il faut
quand même faire attention de ne pas gueuler trop fort, de ne pas
faire ou dire n'importe quoi, pas trop de dégâts, qu’il faut être
« pondéré[e], rationnel[le] et non moins audacieu[se] »
en même temps. Mais aussi qu'il ne faut pas s'acharner sur un homme
en particulier qui finirait par cristalliser toute la haine des
femmes (même si sa culpabilité a été prouvée), qu'il faut savoir
pardonner, d'autant plus quand justice est faite ! Mais de quelle
justice parlons-nous ?! Si ça pète dans tous les sens en ce
moment c'est bien qu'il y a un problème dans la justice, un problème
de cadres.
Le
problème est pris dans le mauvais sens : « réduire les
revendications des femmes agressées à #Balancetonporc c'est
sortir la cause des femmes des cadres juridique et sociétal ».
Ne croyez-vous pas plutôt que « la cause » des femmes
est déjà « en dehors » de tout ? Regardez les chiffres :
il y a très peu de femmes qui portent plainte (par exemple 10% seulement des femmes
violées), très peu de plaintes qui aboutissent à un procès et
encore moins de procès qui aboutissent à une peine juste. La
justice est injuste (pour les femmes). Tout comme les lois. Que dire
de ce cadre sociétal qui fête les femmes deux fois par an (le 8
mars et le 25 novembre) en permettant aux députéEs de l'assemblée
nationale de porter des jupes et d'être présidentes de séance une
fois dans l'année ? L’exception qui confirme la règle ?!
On
frôlerait « la limite de la guerre des sexes » ?
Parler sur des réseaux sociaux c'est ça « déclarer la
guerre » ? La paix (situation dans laquelle de nombreuses
personnes, hommes et femmes semblent se trouver), c'est laisser les
choses ainsi et faire en sorte que la moitié de l'humanité continue
à se taire ou à parler de choses et d'autres avec bienséance,
légèreté, distance, références ou professionnalisme et à
encaisser (les coups) en silence. Mais ne vous inquiétez pas, dans
quelques jours les rédactions n'en feront plus la Une des journaux.
En attendant que ça leur passe, il est important de dire pour que ce
soit lu, entendu, vu par le plus grand nombre et il est important de
ne pas réprimer la parole en se focalisant sur des questions de
forme.
M
M