25 octobre 2017

Réponse à une tribune #Balancetonporcnonmerci dans Libé.


Depuis l’apparition des hashtag Balancetonporc et MeToo, on assiste à une vague de réactions moralisatrices de la part d’hommes et de femmes. Ce texte est une réponse à une de ces réactions qui décrédibilisent la parole des femmes qui témoignent de violences qu’elles ont subi, sous prétexte qu’elles ont utilisé un de ces hashtag, un de ces « gros mots » sur les réseaux sociaux.


Cette tribune me fait l'effet d'une excuse. « Excusez-nous », ou plutôt, « Excusez-LES ! C'est les nerfs, les émotions ! » qui inscriraient « LA lutte féminine dans l’irrationnel ». Entre émotions et irrationalité il n'y a donc qu'un pas. Or les femmes qui se battent contre les violences qu'elles subissent sont souvent très « émues », tristes, honteuses, hargneuses, aigries, acariâtres ou très en colère (c’est le minimum), ce qui ne les empêchent pas de monter au créneau et de se battre de manière tout à fait rationnelle. Avec leurs tripes et avec leurs cerveaux, les deux en même temps ! Acariâtres (adjectif utilisé de manière péjorative dans la tribune) signifie d'abord « tenir tête dans la confrontation » (avant de signifier « de mauvaise humeur »), ce qui est plutôt une bonne chose dans cette situation.
Face à la violence on ne réagit pas toujours comme si de rien n'était. Même après. Des mois, des années après. Même derrière son écran d'ordinateur. Parce qu'on n'a pas pu y répondre sur le coup ou au moment où on l'aurait voulu. Même quand on ne s'en souvient plus vraiment parce qu'on a tout fait pour l'oublier, il reste toujours un petit quelque chose qu'on n'a pas digéré. Et ça sort comme ça, avec les « mauvais mots » - le salaud, le connard, le vautour, le porc... selon les sensibilités -, mais on sait toujours à quoi cela fait référence. « Balancer son porc » sur fb et tw c'est donc pour beaucoup de femmes, raconter ce qu'elles ont subi sans forcément dénoncer des personnes, sans poser de noms mais au moins des mots. Des mots qui raclent, des mots crus, des mots qui pleurent, des mots qui gueulent, des mots qui rient aussi. Allez lire un peu ce qu'écrivent vos copines, vous verrez il y a des perles. Nombreuses sont celles qui usent de l'humour pour prendre du recul sur ce qui s'est passé, et sur ce qui se passe encore. Il y a peut-être « des accents presque épiques, comme dans une longue litanie de chœur dans une tragédie grecque » (analyse l’auteure de la tribune), quoi que je ne crois pas avoir lu de témoignages où les auteures utiliseraient ce mode pour décrire des situations vécues, elles laissent ça au cinéma et aux médias.
Parfois, ça sort avec un ou des noms. Pourtant peu de noms sont sortis compte tenu du nombre d'agresseurs. Le nombre de femmes ayant utilisé les hashtag (MeToo/Balancetonporc) se comptent par dizaines (je crois mêmes centaines) de milliers, vous imaginez le nombre d'agresseurs ? Peu de femmes ont dénoncé directement. Celles qui ont osé, et bien, c'est dur pour l'agresseur, mais « excusez-Les », elles n'ont pas fait exprès, c'est sorti tout seul. Non ! Raconter derrière son écran d’ordinateur n’est pas une preuve de lâcheté de la part des femmes mais plutôt une preuve du manque de cadres dans lesquelles celles-ci peuvent témoigner. Cette décision n'est pas simple à prendre et il ne s'agit pas seulement de méchanceté ou de colère gratuite, c'est souvent un acte de courage qui demande mure réflexion.
Tout ce qui sort sur les réseaux sociaux, ça sort parce que les femmes ont un peu plus de courage, plus de force. La force de ce qui se passe en ce moment c'est le nombre, la masse. Se sachant moins seules, nous les femmes, nous osons (enfin) parler. Ces mots qui sortent de partout, ces femmes qui parlent bien ou mal donnent du courage aux autres. Se reconnaître entre nous, ça fait partie de la lutte : s’unir pour être plus fortes et pour « frapper » plus fort. Montrer que nous savons que nous ne sommes pas seules et que nous prenons conscience de notre force. Ça fait peur, beaucoup plus qu'un « peuple opprimé » qui se venge « contre son tortionnaire » dans une « pièce de théâtre baroque » (dixit l'auteure).
La peur que ces mots dégagent, la peur de la dénonciation ou la mise sous pression d'un certain nombre de personnes est une tactique, un moyen de lutter contre les violences. Pour que ça n'arrive plus. Pour mettre en garde. Attention ! C’est bien une menace envers les agresseurs avérés ou potentiels. J'ai entendu pas mal de journalistes dire que « maintenant les hommes ne peuvent plus lever le petit doigt sans être accusés de viol ». C'est tellement miteux et révélateur, mais ça marche, ça parle, ça rassemble. Ça tombe sous ce merveilleux bon sens commun (entendez par là le sens des hommes). C’est un argument de plus pour que rien ne se dise, que rien ne puisse être entendu : « Taisez-vous sinon on va croire que tous les hommes sont des violeurs ! » Tous les hommes ne sont pas des violeurs effectivement. Mais cette façon de blâmer la parole faisant référence aux violences faites aux femmes par les hommes est une manière de défendre la culture du viol. Autrement dit, de défendre le fait que le corps des femmes appartient aux hommes et que ces derniers ont le privilège d’en faire ce qu’ils veulent. Nos corps leurs appartiennent.
Ne pas admettre que cette lutte-là, contre les violences, comme d'autres luttes qui concernent les femmes, NE pourra PAS se faire sans violence, c'est être un peu trop naïf et c'est surtout ne pas regarder la réalité en face (à lire : le texte de Christiane Rochefort sur les couteaux). Les mots sont tranchants, violents : oui, vous défendez la culture du viol. Oui, en disant cela vous collaborez. C’est violent de l’entendre.
Dire que cette violence est du même ordre que celle des agresseurs (comme expliqué dans la tribune), c’est minimiser les violences faites aux femmes ou au contraire accuser les femmes d’une violence démesurée. Elles devraient encaisser et se taire. En faisant référence à René Girard dans son livre « Mensonge romantique et vérité romanesque » (?!), l’auteure de la tribune explique que les victimes s’identifieraient aux bourreaux et seraient en prise avec des « instincts contagieux et destructeurs ». Si cela peut arriver à certaines victimes, ce n'est pas une règle générale. Il serait intéressant d’analyser les deux types de violences (celle des hommes agresseurs et celles des femmes qui y répondent) : les armes, les fréquences, les structures sur lesquelles elles se reposent, les solidarités, les institutions, les cadres juridiques... C’est totalement inégal, incomparable ! Tout comme les chiffres : le nombre de femmes victimes de harcèlement, de violences, de viol, de meurtre… et le nombre d’hommes victimes des mêmes types de violences. Mais les femmes qui parlent ne cherchent pas à minimiser le nombre de victimes masculines. Le réflexe le plus répandu lorsque cette parole émerge fait dire à de nombreuses personnes que « les hommes battus, ça existe aussi » ! Personne n'a dit le contraire mais comparer est totalement stérile.
A la fin de la tribune, l’auteure nous propose d’ailleurs de comparer, de prendre un autre point de vue et d'imaginer la même chose dans le « cas inverse », c’est-à-dire : et si le hashtag #Balancetasalope était inventé ? (Salope étant donc l’inverse de porc !) Les femmes selon elle, seraient indignées. Les vilaines ! Sur le Blog de Soral, quelqu’un y a pensé aussi : « Après "Balance Ton Porc" pour les femmes, "Balance Ta Pute" pour les hommes ? » demande l’auteur.
Ces discours font partie du même système. Ils nous expliquent à nous les femmes (car c'est bien à nous qu'ils sont adressés) qu'il faut quand même faire attention de ne pas gueuler trop fort, de ne pas faire ou dire n'importe quoi, pas trop de dégâts, qu’il faut être « pondéré[e], rationnel[le] et non moins audacieu[se] » en même temps. Mais aussi qu'il ne faut pas s'acharner sur un homme en particulier qui finirait par cristalliser toute la haine des femmes (même si sa culpabilité a été prouvée), qu'il faut savoir pardonner, d'autant plus quand justice est faite ! Mais de quelle justice parlons-nous ?! Si ça pète dans tous les sens en ce moment c'est bien qu'il y a un problème dans la justice, un problème de cadres.
Le problème est pris dans le mauvais sens : « réduire les revendications des femmes agressées à #Balancetonporc c'est sortir la cause des femmes des cadres juridique et sociétal ». Ne croyez-vous pas plutôt que « la cause » des femmes est déjà « en dehors » de tout ? Regardez les chiffres : il y a très peu de femmes qui portent plainte (par exemple 10% seulement des femmes violées), très peu de plaintes qui aboutissent à un procès et encore moins de procès qui aboutissent à une peine juste. La justice est injuste (pour les femmes). Tout comme les lois. Que dire de ce cadre sociétal qui fête les femmes deux fois par an (le 8 mars et le 25 novembre) en permettant aux députéEs de l'assemblée nationale de porter des jupes et d'être présidentes de séance une fois dans l'année ? L’exception qui confirme la règle ?!
On frôlerait « la limite de la guerre des sexes » ? Parler sur des réseaux sociaux c'est ça « déclarer la guerre » ? La paix (situation dans laquelle de nombreuses personnes, hommes et femmes semblent se trouver), c'est laisser les choses ainsi et faire en sorte que la moitié de l'humanité continue à se taire ou à parler de choses et d'autres avec bienséance, légèreté, distance, références ou professionnalisme et à encaisser (les coups) en silence. Mais ne vous inquiétez pas, dans quelques jours les rédactions n'en feront plus la Une des journaux. En attendant que ça leur passe, il est important de dire pour que ce soit lu, entendu, vu par le plus grand nombre et il est important de ne pas réprimer la parole en se focalisant sur des questions de forme.

M


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