24 novembre 2010

La nuit : une rue, un ragondin, mon agresseur et moi


Lundi dernier, j'ai bien frôlé l'agression dans la rue. Vu le contexte, je pencherais beaucoup pour la catégorie « agression sexuelle » mais fort heureusement je n'ai pas eu l'occasion de vérifier... Passer près d'une expérience de ce genre ce n'est pas rien. Mais surtout, il ne faut pas le taire par honte ou pression ! Je vais donc vous la raconter. Et si c'est mon histoire personnelle, derrière elle il y a toutes les femmes qui ont aussi vécu cela. Avec celles qui, comme moi, ont réussi à rentrer indemnes chez elles et qui peuvent maintenant en parler entre deux frissons. Mais aussi avec celles qui n'ont pas eu cette chance...


Reprenons depuis le début. Je vous plante le décor :
Les quais de Strasbourg vers 23h30. Pas un chat dans la rue. Un ragondin qui barbote dans l'eau en gloussant. Et moi, bien emmitouflée dans mon manteau marchant rapidement pour rentrer me mettre bien au chaud dans mon chez moi.


Action !

Je marche et à une dizaine de mètres devant moi marche un type. Jusque là tout va bien. Le brave homme a bien le droit de rentrer chez lui ou de déambuler à sa guise dans la brume hivernale. S'il s'est retourné pour me reluquer, je ne l'ai pas remarqué. Là où ça commence à se compliquer c'est quand tout à coup il s'arrête. Accoudé à une rambarde l'empêchant de rejoindre le ragondin dans son bain de minuit, il attend. Moi je continue de marcher et par la force des choses je finis par passer devant lui. J'avoue m'être posée quelques questions : pourquoi faire une pause de la sorte par 2°C, sur un trottoir où, à part une poubelle qui déborde, il n'y a rien à regarder ? Sauf... La nana qui rentre chez elle par ce même chemin et qui passe alors devant vous.

A peine l'avais-je dépassé de quelques petits mètres que je me rends compte que ce type s'est remis en marche, juste derrière moi. Les idées tournent à toute vitesse dans ma caboche fatiguée et j'ai bien compris qu'il ne faisait pas une simple ballade nocturne. Il me collait aux basques et ne me lâchait plus.

Je me suis déjà retrouvée un certain nombre de fois, dans ma courte vie, face à des individus louches, aux intentions douteuses et propos explicitement vulgaires. Y compris un exhibitionniste une fois (non deux fois, mais c'était le même type... Bref.) Les « salope » dans ton dos et autres « bonjour mademoiselle, vous ne voudriez pas me sucer ? » j'en ai entendu beaucoup trop. A vrai dire, chaque mauvaise rencontre, chaque insulte, chaque main aux fesses, … Est déjà de trop. Mais dans aucune de ces situations je ne m'étais sentie réellement menacée. Je savais que c'était passager et que si j'ignorais le type ou que je l'envoyais bouler, je n'aurais pas de problème. Or ce soir là, au moment où cet homme s'est mis à marcher derrière moi, j'ai senti que la menace était réelle. A l'intérieur de moi, l'alarme s'est mise à sonner à toutes berzingues. Ce coup-ci c'était pour moi.

C'est sans doute grâce à mon expérience en tant que féministe et la force de mes opinions sur ces questions, que je n'ai pas laissé la panique m'envahir et me paralyser. J'avais peur bien sûr mais je me maîtrisais (et ce n'est pas une mince affaire dans une telle situation). J'ai commencé à cogiter : comment je m'y prends pour le semer, et si je me retournais et que je lui disais bien haut ce que je pense, comment je me prépares à le frapper si ça tourne mal, c'était comment déjà cette prise de karaté... L'ironie à ce moment là, c'est que j'avais justement dans mon sac 500 tracts dénonçant le viol et qu'à peine quelques heures plus tôt, je publiais avec une autre Pépée l'article sur le fameux « RapeX »... J'en aurais presque ri (nerveusement bien entendu). Toujours est-il qu'à force de réflexions, une évidence m'est apparue : je n'étais pas en état de me défendre. S'il m'attaquais, c'était clair que mon agresseur aurait très facilement le dessus et que je n'avais pas intérêt à le provoquer, même pour m'en débarrasser. J'avais beau être armée idéologiquement, œuvrer sans cesse à mon émancipation, tant que la société dans laquelle nous sommes ne se sera pas elle aussi émancipée du patriarcat et de l'oppression des femmes, ces armes ne me seront d'aucun secours dans une telle situation. Et comme il n'y avait personne aux alentours, j'étais coincée.

Cette petite marche à la queue leu leu a duré un petit bout de temps jusqu'à ce que nous arrivions près d'un arrêt de bus. Là, deux bus stationnaient. Comme il restait encore une bonne centaine de mètres avant d'arriver chez moi, en passant par des grandes artères dénuées de vie la nuit, je me dis qu'il n'est pas prudent de m'engager dans cette grande ligne droite en m'éloignant de la dernière présence qu'il me sera donné de voir avant longtemps, à savoir ces bus. Je fais donc mine de me poser à l'arrêt. Et là j'attends, espérant que le type lâchera l'affaire et partira fouetter d'autres chats. Sauf qu'il n'en est rien. Au contraire, il s'arrête à quelques mètres d'ici, à l'entrée de la rue que je dois justement emprunter pour rentrer chez moi. Et là, lui aussi attends, jetant de rapides coups d'œil vers moi de temps à autres. Au bout d'un moment, son impatience se faisant sentir, il se rapproche et se met lui aussi à l'arrêt de bus. Ces derniers allaient bientôt démarrer et me laisser en plan, toute seule. Je ne pouvais pas non plus monter dedans pour me retrouver à minuit dans un quartier que je ne connaissais pas, loin de chez moi. Ce serait semer un danger pour en trouver d'autres. Et encore fallait-il qu'il ne me suive pas dans le bus... Bref, l'option bus tombe à l'eau. Il faut partir.

Je me glisse derrière l'arrêt de bus aussi discrètement que je peux, en me faufilant entre les barrières et par un coup de bol inespéré je passe sur le trottoir faisant dos à l'arrêt, sans que le mec ne s'en aperçoive. Là, je trace, me retournant tous les deux pas pour vérifier qu'il ne me suis pas. Il n'a pas remarqué mon départ... Ça me laisse de l'avance. En me dépêchant, je rentres chez moi, saine et sauve. Ouf!

Sur le coup, j'étais juste un peu secouée mais c'est dans les deux heures qui ont suivi que j'ai vraiment eu peur, en réalisant ce à quoi j'avais échappé de justesse. Là, ça a été l'effondrement et heureusement que j'ai des amiEs qui ont pu m'apporter un soutien tant affectif que politique. Les deux étant nécessaires à un tel moment. J'ai beau être une féministe acharnée, ça m'a sacrément secoué cette histoire. Et encore, j'ai eu la chance d'éviter l'agression verbale et physique. Mais la menace est déjà une agression en soi !

Si je vous raconte ma vie, c'est parce que ces situations arrivent quotidiennement et peuvent s'avérer dramatiques. C'est le lot quotidien des femmes. Rares sont celles qui ne l'ont pas déjà vécu ou qui ne le vivront pas un jour. Malheureusement. Et ce, quelque soit le quartier où l'on habite ou les habits que l'on porte (car non ! Les femmes ne sont définitivement pas
« responsables » de leurs agressions et ce, quelque soit leur apparence et tenue vestimentaire). Je n'habite pas dans un quartier dit « sensible ». Je n'étais pas en minijupe. Le type qui m'a suivi était blanc comme mes fesses (et en hiver je vous garanti que c'est bien pâlot tout ça). Les arguments de notre société raciste incriminant une certaine catégorie de la population (les maghrébins, comme par hasard) de ces violences sont fallacieux et tendent à absoudre le reste de la population masculine (les blancs) de tout sexisme et comportement potentiellement violent. Il faut les dénoncer ! Mais ce qu'il faut avant tout dénoncer, c'est la société qui permet ces violences. Qui les rend quotidiennes. Banales. Et au bout du compte « normales » ! Or non ! Les violences, quelles qu'elles soient, ne sont pas normales. Elles sont scandaleuses ! Ce n'est pas parce qu'elles sont notre quotidien sous toutes sortes de formes qu'elles sont « naturelles » ou que nous devons les accepter comme une fatalité. La violence n'est pas une donnée biologique contre laquelle on ne peut rien. Elle se construit et s'exerce dans une culture, une société, des rapports sociaux. Nous luttons et nous continuerons à lutter pour dénoncer l'idéologie qui permet la violence et qui la légitime. Un homme n'agresse pas une femme s'il ne pense pas qu'il est en position de dominant et que celle-ci, par sa position inverse, lui est subordonnée, voire lui appartient et qu'il peut donc en faire ce qu'il veut en toute impunité. Nous ne seront pas des victimes ! Le combat féministe et le refus de la peur sont des armes. Prenons les !

sO

6 commentaires:

  1. J'ai lû ça avec beaucoup d'interêt, et aussi un peu d'émotion, il faut dire que vous écrivez tout ça superbement (même si pour le ragondin j'ai pas tout compris....;)
    Je suis homme et aussi psychologue....mais surtout je me souviens que quand j'avais 15 ans (et +) j'etais tellement intimidé par les filles, j'avais tellement peur de leur adresser la parole, que j'en suivais parfois, un peu comme ça (ça se situe dans les années 50), et parfois pendant des kms, mais c'etait plutôt le genre "filature", à distance.....Quand même, une ou 2 fois j'ai osé leur adresser la parole, en bafouillant, et c'etait pas le genre "tu suces", mais plutôt : "votre combinaison dépasse, vous le savez ? -ce détail m'avait excité je suppose....
    La fille entendant ça était encore plus confuse que moi apparemment, mais que pensait-elle au fond ?
    je ne sais....
    Il y en avait une comme ça que j'adorais près de chez moi, mais je n'ai osé lui adresser la parole qu'une fois ou deux....Elle m'a dit qu'elle irait en vacances sur une plage belge....J'y suis allé, et en cherchant bien je l'ai trouvée....dans la rue, mais elle était avec d'autres filles je n'ai pas osé me montrer, et je suis rentré chez moi......
    Je n'etais pas du genre à agresser physiquement, mais sans doute une fois ou deux ais-je dû en effrayer une ou deux aussi.... je me suis demandé en lisant votre texte ce qui se serait passé si vous lui aviez adressé la parole....Je resterai un peu sur ma faim....mais après tout c'est votre vie ! ;)
    Peut-être n'etait-ce qu'un grand timide, incapable de prendre la parole tellement vous l'impressionnez....mais ce n'est qu'une hypothèse !
    On ne le saura jamais.
    En tout cas il devait quand même être un peu désorienté, voire découragé, à la fin......
    Merci pour ce récit, en tout cas !

    andré Mazaingue, sur Facebook

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour André.
    Pour le ragondin, ce n'est qu'un coïncidence croisée sur le chemin, propre à égayer une situation plutôt difficile...
    Pour ce qui est de ce type. J'avoue que je ne veux même pas savoir si c'était juste un grand timide ou un désorienté qui a vu en moi la lumière de son destin ou je ne sais quoi d'autre... Il m'a suivi, attendu et pour moi la lenace était réelle. Si je lui avais adressé la parole ça aurait été pour lui dire de me foutre la paix et pas pour faire connaissance. Il y a plusieurs hypothèses quant à sa réaction dont l'une est la violence et l'agression. A partir de là, je ne lui aurais pas parlé. Qu'importe ses intentions exactes, en me filant il attaquait déjà mon intimité et c'est beaucoup trop !

    RépondreSupprimer
  3. Il y a surtout une chose à savoir et à comprendre : dans notre société une femme n'a pas à marcher dehors seule le nuit à moins de chercher à vendre du sexe. L'espace public nocturne appartient aux hommes en non-mixité, qu'ils soient agressifs ou non. Je pense que c'est le fond du problème.

    RépondreSupprimer
  4. Un truc tout simple, léger, en pendentif, discrètement autour du cou... le sifflet d'arbitre ! très efficace !

    RépondreSupprimer
  5. Bombe lacrymogène dans le sac et refuser de passer devant. Quand on vous suit, arrêtez vous, ne bougez plus, et sortez tranquillement votre portable. Mais surtout, ne marchez pas avec un type dans le dos, essayez de restez derrière ou changez de trottoir et ralentissez jusqu'à être à sa hauteur. Il ne faut jamais garder un mec dans le dos trop longtemps c'est dangereux : lol!
    Sinon je ne connaissais pas ce blog et je suis contente de l'avoir découvert. Trés bons récits. Et bonne humeur malgré les sujets parfois difficile. Je reviendrai.
    J'ai mis un lien sur le mien de blog :
    http://sediments.hautetfort.com/
    Amicalement.

    RépondreSupprimer
  6. André : c'est clair que c'est un autre monde.

    Plusieurs fois j'ai vu des mecs essayer de m'aborder, de me parler, la nuit, pour une raison X ou Y, qui ne me voulaient pas de mal... Et plusieurs fois je suis passée pour une parano. Mais on m'a toujours dit qu'il valait mieux trop se méfier que pas assez.

    En plus, il suffit de lire les innombrables faits-divers qui transforment jeunes filles/femmes en fragiles victimes pour l'opinion bien-pensante, et en viande fraîche pour les tarés.

    Mettez-vous bien ça dans la tête, messieurs. JAMAIS AUCUNE FEMME NE SERA RASSUREE PAR UN MEC QUI LA SUIT. JAMAIS. C'est pas bien difficile à comprendre, non? Vous n'avez pas de filles et soeurs ? Et vous leurs dites quoi ? "Youpi, si un type t'adresse la parole la nuit àalors que tu es seule, sois pas une sauvageonne !" On n'est pas chez les Bisounours.

    Et sinon, sifflet ou lacrymo ? Moi je me promène avec un tournevis cruciforme dans mon sac : si, si ! Parfaitement débile, mais le sentiment de sécurité n'a pas de prix...

    RépondreSupprimer