28 juin 2011

Explication de vote

Sans grande surprise, l’Assemblée Nationale a rejeté mardi 14 juin la proposition de loi visant à ouvrir le mariage aux couples de mêmes sexes. Si l’on peut s’interroger sur les motivations à l’origine de cette proposition faite par l’opposition, l’écoute des explications de vote démontre – s’il en était besoin – l’attachement à la famille patriarcale et l’homophobie qui règnent dans les institutions.
Pour notre plus grand plaisir, l’Assemblée Nationale met en ligne ces explications de vote qui sont pour le moins révélatrices. Je vais pour ma part tenter de décortiquer les arguments qui ont été mis en avant par les groupes Nouveau Centre et UMP pour refuser l’ouverture du mariage aux couples de même sexe.

Dans deux interventions quasiment identiques Olivier Jardé et Michel Diefenbacher nous expliquent pourquoi, malgré leur profonde « opposition à toute forme de discrimination » n’est-ce-pas, ils invitent leurs chers collègues à rejeter cette proposition au minimum farfelue au pire dangereuse… Dangereuse pour qui me direz-vous ? Mais pour la famille, et par là même pour la société dans son ensemble. Nous même ne nous savions pas/plus si subversif-ve-s !

Afin que nous ne nous méprenions pas sur les sentiments de la droite à notre égard, O. Jardé et M. Diefenbacher, nous rappellent, en guise d’introduction, à quel point la communauté LGBTI est sympathique à leurs yeux. M. Diefenbacher en veut d’ailleurs pour preuve l’évolution du statut de l’homosexualité, évolution qui serait, soit dit en passant, la conséquence du progrès continu de la société et non des luttes LGBTI. Le message est donc clair : « nous faisons du haut de notre « normalité » – comme dirait C. Boutin – un effort pour vous tolérer alors surtout n’en demandez pas trop. »
Une fois ce passage obligé de la déclaration d’affection effectué, nos députés peuvent en venir aux choses sérieuses. Et nous verrons comment les proclamations égalitaires n’étaient que du vent (on s’en doutait cela dit). Le reste de ces deux interventions est, comme il se doit, consacré à la défense de la famille et des « valeurs qui s’y rattachent ». Mhhh, « la famille et les valeurs qui s’y rattachent » voilà qui a de quoi faire frémir.



Pour ceux qui auraient pris cette proposition de loi un peu à la légère, Olivier Jardé nous informe en guise de préambule qu’il s’agit « d’un choix lourd » qui ne peut être effectué qu’en fonction de « convictions profondes ». Et ce cher homme en a de profondes convictions. Il tient en effet à « travailler à lever les inégalités dont sont victimes les homosexuels ». Mais, malgré sa profonde conviction égalitaire, O. Jardé est au grand regret de nous rappeler « l’impossibilité » dans laquelle il se trouve de « séparer la question du mariage de celle de la filiation ».
Que nous dit-il exactement par cette phrase ? Elle contient d’une part une déclaration d’intention. En effet, on comprend que si cette « impossibilité » n’existait pas, Monsieur Jardé, partisan de l’égalité devant l’éternel, se ferait une joie d’honorer les homosexuel-le-s du droit au mariage. Mais ô malheur, il y a l’épineuse question de la filiation, laquelle empêche nécessairement d’envisager cette ouverture du droit au mariage. Comme chacun sait, les Gouines et les Pédés, on leur donne ça et il vous prenne ça. Et c’est cette impossible dissociation qui oblige Olivier Jardé à se positionner contre le mariage : qui dit mariage dit droit à la filiation et là vraiment, c’est aller trop loin.
Monsieur Jardé reconnait cependant que l’homoparentalité est un fait. Mais le problème c’est qu’il « y aurait des études psychologiques contradictoires » relatives aux effets de l’homoparentalité sur les enfants. C’est donc dans « l’intérêt de l’enfant » pour lequel « il est nécessaire de grandir avec deux parents de sexes différents » que le mariage homosexuel doit être interdit.


Que la situation des nombreux enfants qui vivent déjà dans de telles familles puissent être améliorée par la reconnaissance juridique du couple de leurs parents n’effleure pas le député. L’idée selon laquelle ce qui ferait souffrir ces enfants (encore faudrait-il prouver que ces enfant « souffrent » plus que les autres) ce serait l’homophobie et le rejet dont ils peuvent faire l’objet de la part de la société plutôt que le genre de leurs parents, cette idée donc, n’entre même pas dans l’orbite des pensées d’Olivier Jardé. Ce dont il est certain par contre c’est que les enfants dont les parents sont homosexuel-le-s sont plus malheureux que les autres. C’est donc son intérêt pour les enfants et pas son homophobie qui justifie son refus de l’égalité des droits. Et les plus naïf-ve-s pourraient y croire s’il ne manquait de conclure en rappelant son attachement « à la structure de la société » laquelle « a pour base la famille dans sa définition initiale ». Envolée la défense de l’enfance, c’est bien le refus de toute atteinte au système de genre et la défense de la famille patriarcale qui sont en cause.



Michel Diefenbacher ponctue lui aussi son intervention par de désormais rituelles déclarations d’affection à la « communauté » homosexuelle dont il rappelle le caractère « respectable » et « sympathique ». Il nous concède que « pendant longtemps les homosexuels ont été victimes de traitement discriminatoire ». Mais grâce à l’évolution de la société et du droit cette situation est heureusement derrière nous. La question que nous pose le député UMP est celle de savoir si « la convergence des régimes juridique doit aller jusqu’à l’identité totale » ? En posant cette question, on nous renvoie encore et toujours au statut « d’autre », de « différent ». On nous rappelle au passage que nous sommes différents des hétérosexuels qui eux-mêmes ne sont différents de personne puisqu’ils sont normaux. Ce différent-là ne veut donc pas dire différent. Il instaure une hiérarchie entre ce qui est normal et bien et ce qui ne l’est pas : anormal donc mauvais.
Pour répondre à cette question, il faut d’abord savoir ce qu’est le mariage. Or, qu’est ce que le mariage ? « Une institution » derrière laquelle se trouve…la filiation. Encore elle ! Le mariage est une institution donc. Et quel est son objet à cette institution ? Sachez que « l’objet du mariage n’est pas de traiter tous les êtres humains de manière indifférenciée ». Non, non. L’objet du mariage est « la protection des plus faibles ». Et ces plus faibles, qui sont ils ? « La femme » et « l’enfant » bien entendu. Ne vous étouffez pas à la lecture, j’ai failli vomir à l’écoute. Quand on sait (et Michel Diefenbacher ne peut l’ignorer) que la famille est le premier lieu où femmes et enfants subissent des violences il y a de quoi être estomaqué par une telle déclaration. Il s’agit donc de préserver une institution dont on sait qu’elle opprime et permet l’exploitation tant des femmes que des enfants, en se posant en défenseur de ces mêmes « plus faibles ». Le goût de la contradiction de Michel Diefenbacher est admirable au moins autant que son absence de peur du ridicule. Cela dit, rappelons que nous sommes à l’Assemblée Nationale où tout est permis.



Donc l’objet, enfin l’un des objets pour être précise, du mariage est de protéger les femmes et les enfants. Et l’autre quel est il ? « C’est de structurer la société et d’organiser la filiation ». On y croit déjà davantage. Du coup, et c’est d’une logique implacable : « il ne s’applique qu’à des couples qui par nature peuvent avoir des enfants ». La nature arrive à la rescousse. Sauf qu’il faut chercher à savoir ce que veut dire ce « par nature ».
Puisque à ma connaissance on ne fait pas subir de test de fécondité aux couples hétérosexuels candidats au mariage, il ne s’agit certainement pas de la capacité reproductrice des couples. Ce « par nature » renvoie donc à autre chose qu’à la capacité biologique à procréer. Bien que ce ne soit pas difficile à deviner, on peut chercher des indices. Le fait que seuls les couples mariés aient accès aux méthodes de PMA en est. Ce qu’on veut nous dire c’est que, biologiquement capable au non de procréer, les couples hétérosexuels sont faits pour avoir des enfants. Il est d’ailleurs à deux doigts de nous dire que les femmes sont faites pour s’en occuper quand il nous déclare que l’institution du mariage a également vocation « à constater et organiser l’altérité ». Entendre l’altérité entre les hommes et les femmes, c'est-à-dire : la complémentarité. En dernier ressort, le mariage (dont on nous a dit juste avant qu’elle était une institution, un pilier de la société), ne doit rien à cette société et tout à la nature. Quand on connait un peu les règles juridiques complexes qui organisent le mariage et la filiation on se demande quand même s’il n’y a pas quelque intervention étrangère à la nature là-dessous.

Quand Monsieur Diefenbacher invoque la nature il s’agit de faire de la filiation non un phénomène social mais naturel. Or rien n’est plus faux. Le mariage, comme la filiation sont des phénomènes – des institutions comme il le rappelle lui-même – sociaux. La nature n’a rien à voir là dedans. Ceux qui peuvent se marier ne sont d’ailleurs pas les mêmes que ceux qui peuvent biologiquement procréer entre-eux. Ceux qui peuvent se marier et avoir des enfants dits légitimes ce sont ceux que la société, par le droit, autorise à le faire. Rien de bien naturel là dedans. Et M. Diefenbacher, qui décidément n’en est pas à une contradiction près, le sait très bien quand il affirme son refus « d’altérer dans l’inconscient collectif l’image et la fonction du mariage ». Si quelque chose était naturel comme ils le prétendent à propos de l’hétérosexualité, du mariage ou de l’altérité femmes-hommes, en quoi le changement de règles juridiques, donc sociales (si l’on veut bien nous concéder que le droit est un phénomène social) pourrait il « bouleverser » quelque chose que Mère Nature elle-même a voulu comme tel ?

L’intérêt de ce débat parlementaire est qu’il a selon moi permis l’expression décomplexée des idées réactionnaires de la droite à propos non seulement du mariage homosexuel, mais plus largement des questions de genre et finalement de l’égalité entre les femmes et les hommes d’une part et entre les LGBTI et les hétérosexuel-le-s d’autre part. Que les députés rappellent leur attachement aux valeurs de la famille, en appellent à la différence ou au nécessaire respect de l’altérité ou encore à la protection de l’enfant, ils nous montrent la même chose : cela nous rappelle que nos revendications, même les plus basiques, même les moins avancées, font désordre.

Cela rappelle également à quel point la revendication d’égalité des droits, aussi insuffisante soit-elle reste centrale dans les luttes LGBTI. Ces explications de vote témoignent d’ailleurs du caractère nécessaire tant qu’insuffisant de ces revendications. Nécessaire parce qu’à travers de telles revendications nous avons l’occasion d’ébranler, ne serait-ce que très légèrement, ce fameux discours sur l’altérité, la différence, la complémentarité des genres. Nécessaire aussi parce que selon moi la question du droit et des droits ne doit pas être prise à la légère : ces questions sont souvent l’occasion de nous faire entendre et des victoires à ce niveau peuvent aussi permettre d’améliorer, ne serait-ce qu’un peu les conditions matérielles d’existence de nombre d’entre nous. Insuffisant parce que la tendance à envisager ces revendications comme un fin en soi et non comme l’un des moyens ou l’une des étapes de la lutte peut-être dangereuse. Cela peut nous faire oublier que nous ne souhaitons pas que cette société nous accepte, qu’elle nous tolère, nous ne souhaitons pas nous y intégrer. Nous voulons la transformer.

Marie



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