Peau d'âne aura tout essayé pour échapper à l'inceste. « Donne-moi la robe couleur de lune et je t'épouserai », dit-elle à son père, en se disant que jamais il ne pourra la lui donner, et qu'alors elle sera libre de toute obligation. Mais voilà qu'il la lui donne. Peau d'âne demande alors la robe couleur de soleil, puis la robe couleur de temps, et à chaque fois, son père les lui trouve. Alors elle lui demande la peau de son âne le plus précieux : celui qui fait des écus d'or. Et là encore, le père s'exécute : il a trop envie de sa fille, trop envie de posséder sa beauté juvénile. Face à l'horreur de sa situation, Peau d'âne devient Peau d'âne : elle se sauve, cachée par la peau d'âne, et se retrouve servante d'un prince.
Un jour, alors qu'elle lui prépare un gâteau, l'anneau d'or qu'elle porte au doigt tombe dans la pâte : le prince décide alors d'épouser la femme qui pourra le porter, exactement comme Cendrillon et le soulier de vair. Evidemment, seule Peau d'âne peut l'enfiler à son doigt, fin et délicat, comme doivent l'être ceux des femmes, et la voilà sauvée par son mariage avec le prince de son mariage avec son père. Elle cesse d'être une fugitive.
Horrible histoire de bout en bout. Ce n'est pas une histoire à sortir à Noël, ni le soir pour endormir les enfants – quoi que, les histoires de ce genre sont idéales pour endormir les consciences dès le plus jeune âge, faire accepter un état de faits, et éliminer toute question éventuelle. Non ! C'est une histoire à brandir le jour de la Lutte internationale contre les violences faites aux femmes ! Car dans cette histoire, on a tout : l'inceste, le viol, l'impossibilité de disposer de soi, de son corps, de sa personne, de sa vie. Et puis : les petits boulots – la servante -, la fuite d'un piège, oui, mais pour aller où ? Et puis : contre l'homme menaçant, l'homme qui sauve, l'institution du mariage, l'impossibilité de sauver sa vie seule, de se protéger seule, sans être tout le temps patronnée, chaperonnée par un homme ! Ah oui le prince charmant ! C'est oublier que nombre d'hommes qui battent leur femme ont commencé par être un amour de prince charmant. Et puis, de toute façon, la vraie liberté, la vraie égalité, la vraie dignité de la vie, c'est d'être debout sans besoin ni astreinte d'un autre, de toute façon dominant.
Tout change et rien ne change. Les droits des femmes ont évolué mais la misogynie n'est pas encore reconnue comme une violence, tel que le racisme ou l'antisémitisme.
Alors, puisqu'en 2011 on est encore à la domination des hommes sur les femmes, à quand la robe couleurs d'ecchymoses ? Celle qui va avec toutes les couleurs des bleus, celle qui change de ton selon les bleutés, les violacés, les noirs partout où la peau n'est plus couleur de peau ! A quand, puisqu'on en est toujours à ne pouvoir empêcher les Peaux d'âne d'être prises en otages corps et âmes par les pères, les frères, les beaux-pères, les maris, les cousins, les amis, bref, les hommes ? Sont-ils coupables ? Oui et non. On n'est pas coupable d'être conditionné par un système dès lors qu'on vient au monde, mais on est responsable de ses actes.
Pour changer les hommes, changeons le système.
Pour changer le système, changeons les hommes.
Et luttons, luttons, pour qu'un jour, on n'ait plus jamais besoin d'une Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
Virginie
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