L'organisation à Toronto de la première Slutwalk, nous avait plongées dans un enthousiasme immédiat. Cette révolte spontanée, subversive et radicale inaugurait pour nous un renouveau du mouvement féministe, surgit de la réalité vécue par les femmes. La propagation au niveau mondial de cette manifestation nous a confortées dans notre excitation première.
Ainsi en apprenant la tenue d'une Slutwalk à Strasbourg, nous avons souhaité prendre part à cet événement, prêtes à en rejoindre les rangs à grand renfort de mégaphone et de slogans.
Mais après maintes réflexions et lectures sur le sujet, notre refus final d'y participer traduit notre désillusion. En effet, nous avons été très attentives à la manière dont la communication a été faite autour de cette marche.
Décortiquons-là.
Tout d'abord, la non traduction de « Slutwalk » (au premier plan sur l’affiche) créé une incompréhension et brouille le sens de la démarche. En effet qui pourrait voir un lien évident entre « slut » et « salope » ? Or c'est bien de cela qu'il s'agit, d'une ré-appropriation d'une insulte que nous n'entendons que trop. Ce mot, salope, martèle le quotidien de chacune d'entre nous. Nous aurions trouvé de bon ton de rendre cela audible et visible.
Ensuite, la phrase « respect pour tous » a résonné pour nous comme un retour à l’ordre moral et au mysticisme visant à cacher la réalité. Cette utilisation du mot « respect » nous semble totalement hors de propos. Il ne s'agit pas de quémander un statut de femme respectable (c'est à dire femme « bien sous tout rapport ») mais de dénoncer et de s'opposer à un système hétéro-patriarcal et sexiste qui cherche sans cesse à diviser les femmes entre elles : celles qui ne méritent que de se faire violer et les femmes respectables. Or pour nous, nulle femme n'est plus respectable qu'une autre, là n'est pas la question. La morale n'est pas au service de notre lutte (et réciproquement). Pour nous, participer à une marche des salopes devrait être l'occasion de répéter que, respectable ou non, aucune femme ne mérite d'être violée.
Est invoqué ce fameux respect « pour tous ». L'absence de féminisation, plus particulièrement dans le cadre de cet événement, est aberrante. Les femmes ont lutté pour la disparition de ce masculin neutre qui l'emporterait en toute circonstance et notamment dans le langage quotidien. Pour nous, cela revient à ne pas s'adresser aux premières concernées : les femmes. Accepter le masculin comme sujet prétendument neutre ou universel, c'est prendre l'expérience masculine comme seul point de référence et mettre de côté le point de vue et le vécu des femmes.
Deuxième support : le dossier de presse
Dans les premières pages de ce dossier de presse est exposé un tableau détaillant les objectifs chiffrés et les attentes en termes de participation. En disséquant de la sorte cette manifestation sur l'autel des chiffres et de la rentabilité, son contenu subversif originel passe à la trappe et devient visiblement obsolète. Ces objectifs pragmatiques trahissent les revendications des femmes qui subissent jour après jour des agressions physiques et verbales n'ayant pour seul motif que leur genre. Pour nous, ce n'est pas tant le nombre de personnes présentes qui compte, que le seul fait de rassembler des femmes autour de revendications incontestablement féministes !
Mais guère de revendications et de subversion dans ce qui nous est donné à lire. Plutôt une manifestation teintée de bonne humeur et d'amusement et de grandes désillusions, encore une fois, pour nous. Car si, dès les années 70 les féministes ont teinté d'humour la politique, elles ont montré que le premier ne se substituera jamais au second. Et que l’humour est politique. La réappropriation de la rue doit être un événement joyeux, mais elle ne peut l'être que si elle est politique. Cependant la slutwalk, telle qu’elle est organisée à Strasbourg, est une démarche qui se réclame de l’a-politisme… Dans une volonté de transformer un lieu de lutte en carnaval moderne où toute notion de réappropriation, de retournement et de combat est abolie ?
Une analyse des violences contre les femmes que la Sluwalk prétend dénoncer manque cruellement. Sexisme, rapports de domination et d'oppression d'un genre sur l'autre ne sont pas même évoqués. La question du genre a pourtant à voir avec les violences dont les viols. Le fait que l'écrasante majorité des victimes de violences sexuelles soient des femmes (98%) en est un indice... Nous vivons dans qui trouve son ancrage dans l'oppression des femmes par les hommes. Les relations entre les genres sont régies, que ce soit consciemment ou non, par des rapports de domination. Ainsi, une personne va se voir dénigrée, humiliée, soumise et plus encore, pour la seule raison qu'elle est une femme. A ce titre, les inégalités flagrantes qui touchent les femmes (salaires, violences, exploitation domestique) ne représentent que la partie émergée de l'iceberg du patriarcat. Les femmes vivent sous la menace constante de l'agression, du viol, parce que le système d'oppression a entériné le fait que leur corps ne leur appartient pas et qu'un homme peut légitimement se l'approprier comme bon lui semble. Tout est bon pour renforcer le sentiment d'impunité des hommes qui rend par extension les femmes coupables des agressions qu’elles subissent (on dit d’ailleurs dans le langage courant qu’une femme « s’est faite violée ») : elle sortait seule la nuit, elle était en jupe, etc. Or il s’agit de l'exercice d'une domination d’un sexe sur l'autre que la société autorise (combien de violeurs sont jugés ?). Les femmes se font violer au seul motif qu'elle sont des femmes et pour leur rappeler quelle est leur place. Et que dire des viols de lesbiennes (pour la seule raison qu'elles sont lesbiennes) par lesquels les hommes reprennent leurs droits sur un corps qui se refuse à eux ? Il ne s'agit en aucun cas d'une « incohérence » de la société, bien au contraire ! Cela fonctionne parfaitement, discours et pratiques sexistes sont bien rodés et se renforcent mutuellement. Il s'agit d'un système basé sur le patriarcat, le sexisme et l'hétérosexualité comme norme.
Mais après avoir constaté cette divergence de point de vue concernant la nécessité de tenir un discours politique ou non, nous n’étions pas au bout de nos peines. Car ce qui nous a estomaquées par-dessus-tout c’est le recours au terme « tolérance » comme moteur principal de cette action. « La Slutwalk est un message de tolérance et de respect envers chaque individu, concernant son apparence ou sa sexualité ». L’utilisation de ce mot nous apparaît scandaleuse en toute circonstance. Il inclut d'emblée qu’il y ait les tolérants d'une part et les toléréEs d'autre part ; toléréEs qu'on accepte finalement bien malgré soi. C'est un terme condescendant qui ne se rapproche en rien de la revendication d'égalité. Ce mot récurrent, notamment dans le phrasé raciste, nous semble déplacé ici, tant il implique un rapport de domination des uns sur les autres. Pour se permettre de tolérer quelqu'un, il faut être dans une position de dominant. Ce sont les blancs qui « tolèrent » les noirs, les hétéros qui « tolèrent » les homos et les hommes qui « tolèrent » les femmes en jupe. Tolérer, ce n'est pas donner une place d'égal mais supporter à contrecœur. Qui tolère place une frontière entre lui et l'autre.
Enfin, cette ardeur à s’excuser et à se détacher de tout féminisme nous interpelle : « La slutwalk ne se revendique pas féministe mais égalitaire. Nous ne militons pas pour une libération sexuelle ou une autonomie mais un respect de chacun pour chacune, quelque soit son âge, genre, orientation sexuelle ». Qu'y a-t-il donc dans ce féminisme qu’elles rejettent tout en s’en réappropriant les luttes ? Est-ce notre analyse des rapports de domination qui vous effraye et que vous préférez passer sous silence ? Contrairement à ce que raconte ce dossier, nous pensons qu'il n'y a pas de luttes contre les violences sans analyse des rapports de domination et des structures sociales qui la fonde.
La violence ne tombe pas du ciel.
Les Poupées en Pantalon
Les Poupées en Pantalon
Moi, lisant dans les news un article sur la Slutwalk de Toronto, j'ai été profondément choquée par certaines pancartes "On n'est pas des putes"... Les "putes" seraient-elles un genre à part, des sous-femmes, que l'on peut violer tranquilement ? Sont-elles les ennemies des féministes ? Pour moi, une prostituée est une femme comme toutes les autres, a le droit au respect, et ne doit pas être brandie en épouvantail face aux hommes-violeurs, dans le genre "Moi je suis pas une pute mais si tu vas 2 rues plus loin, tu verras y en a plein". Navrant.
RépondreSupprimerBonjour les Poupées,
RépondreSupprimerJe n'ai pas lu ce dossier de presse mais je suis bien d'accord avec vous. Ces mots de "respect" et de "tolérance" sont vraiment de bon ton actuellement, une sorte de cache-misère qui, en cachant la violence quotidienne des inégalités, les entretiennent. Et quand on dit "pour tous", ça met hommes et femmes au même niveau, alors qu'on sait très bien que le manque de respect le plus courant vient des hommes pour les femmes. L'injonction "pour tous" signifie que les noirs doivent respecter les blancs, les femmes doivent respecter les hommes, comme si à eux aussi il fallait faire la morale, et comme s'ils ne s'écrasaient pas assez comme ça. Il est hypocrite de viser les dominés autant que les dominants. Ce nivellement voudrait faire croire que tout le monde est pareil, et que tout le monde vit la même chose. C'est simplement dégueulasse, et injuste, et inacceptable.
Evacuer les mots qui disent la lutte et l'inégalité, c'est taper encore une fois sur ceux dont les droits les plus élémentaires sont chaque jour bafoués.
Respecter les gens, ça commence par dire les vrais mots de la réalité de chacun, même (et surtout) ceux qui ne font pas plaisir.
A bas le consensus mièvre ! A bas les langues de bois ! A bas les fausses contestations !
Bienvenue dans le monde de la com' ;-)
RépondreSupprimerLe féminisme doit il etre un humanisme?
RépondreSupprimerArticle très intéressant. Justement, ce qui m'intéressait dans la démarche des "salopes", c'est ce côté, "on vous emmerde". "On est ce qu'on est, on s'habille comme on veut, et vous ne devriez pas vous sentir le droit de nous violer." De toute façon, les trucs mièvres (comme dit Virginie), j'aime pas. La vie, c'est pas mièvre, ça saigne, y a des bruits et des odeurs, c'est brut.
RépondreSupprimerBref j'adhère à votre analyse: tout ça est bien consensuel, con-con même, je dirais. Donc... Tant pis. L'idée de départ était si bonne!
zéro tolérance pour cette société de merde,zéro séparation,entre esclaves et un peu moins esclaves,ces formes de revendications et de "luttes", féministe ou autre,va trop bien dans la logique de relations imposée, à l'ensemble du vivant,par le système autoritaire dominant,signé un homme violé
RépondreSupprimerTrès bon billet !
RépondreSupprimerPour aller dans votre sens, un petit lien vers tout ce qui s'est écrit de critique sur le sujet (en anglais uniquement, hélas) http://www.feministfrequency.com/2011/05/link-round-up-feminist-critiques-of-slutwalk/
Je trouve l'ensemble éclairant, et vous y retrouverez un grand nombre de vos propres remarques.
DG
bravo pour votre analyse qui fait du bien et merci pour ce billet qui secoue les marroniers de la com qui récupère tout...
RépondreSupprimerelles ont pourtant des revendications féministes non ?
RépondreSupprimer" venez vous amuser avec nous ..." "respect pour TOUS"
RépondreSupprimerAFFLIGEANT ! Je ne refais pas toutes les excellentes analyses ci-dessus...dont l'interpellation forte SALOPES qui a disparu.
Est-il possible d'affirmer clairement une position sans reculades permanentes ?
Daniel Mouriès (sur FB)
Très bon article, je suggère toutefois une petite modification éditoriale :
RépondreSupprimervous écrivez : (on dit d’ailleurs dans le langage courant qu’une femme « s’est faite violée »)
d'accord, mais trois lignes plus loin on lit :
"Les femmes se font violer au seul motif qu'elle sont des femmes" !!
Je suis un homme.
Au sujet de votre premier argument: "qui pourrait voir un lien évident entre « slut » et « salope »? Il s'agit bel et bien du choix des organisatrices de "se réapproprier" le mot slut/salope, ce qu'elles ont explicitement opposé à une lecture féministe qui rejette ce label machiste.
RépondreSupprimerUne foule de textes critiques des "SlutWalks" ont été traduits en français. En voici quelques-uns:
0) Pendant que vous défilez, nous, on se noie!" http://sisyphe.org/spip.php?article3994
et autres textes de Rebecca Mott: http://sisyphe.org/spip.php?rubrique155
1) http://lezstrasbourg.over-blog.com/article-lettre-ouverte-des-blackwomen-s-blueprint-a-la-slutwalk-marche-des-salopes-85321905.html
2) "Le mouvement des femmes n'est pas monochromatique" (Lettre ouverte du groupe de femmes racisées AF3IRM) http://www.sisyphe.org/spip.php?article4003
3) "La marche des salopes n'est pas la libération sexuelle" (Gail Dines et Wendy Murphy) http://sisyphe.org/spip.php?article3870
4) Au sujet des défilés de féministes-en-sous-vetements" (Samantha Berg, de StopPornCulture) http://sisyphe.org/spip.php?article4000
Très bonne analyse.
RépondreSupprimerDésolée du retard, mais... J'suis la seule à être choquée par la présence de la chaussure à talon aiguille ? On se croirait dans Barbie sur NES (vieux jeu vidéo, j'ai 15 ans, je sais), où sa seule mission consiste à prendre une paire de chaussure...
RépondreSupprimercomme colombe, la chaussure à talon aiguille me rebute. l'attribut féminin, celui qui attise le désir et justifie bien des abus... et "venez vous amuser" surtout. dans quelle lutte a-t-on eu besoin de brandir l'amusement pour faire venir des manifestants? à mes yeux ça anéantit toute vélléité de revendication. les femmes n'ont-elles de cervelle que pour s'amuser et mettre des talons aiguille?
RépondreSupprimerOn appréciera la diversité des sources de Martin Dufresne...
RépondreSupprimerJe suis convaincu que cet évènement avait un sens initialement. Comment expliquer cette récupération dépolitisante et anti-féministe ? On en peut pas rester sans rien faire !
Merci en tout cas pour avoir éclairée ma lanterne :-/
guiguilerennais