10 novembre 2011

Polisse de Maïwenn

Une brigade de protection des mineurs. Une photographe qui suit les flics pour rendre compte de leur travail. Et des spectateurs pris en otage face au récit des violences subies par les enfants et adolescentEs. Dans la salle, une tension palpable et des rires gênés d’enfants qui ont du se tromper de film (Tintin est projeté juste à côté). Maïwenn filme les interrogatoires de parents incestueux, d’enfants violés, et les réactions des policierEs. Des réactions directes, sous le regard des plaignantEs et des accuséEs mais aussi des réactions différées, dans la salle de pause, dans leurs appartements. Ainsi, la trame posée par Maïwenn questionne. Face à la violence à laquelle les flics de la BPM sont confrontéEs toute la journée peuvent ils/elles connaître une sexualité qui ne soit pas aliénée, exempte des images de contraintes et de soumission qui font leur quotidien ? Comment parviennent-ils à concilier vie professionnelle et vie privée lorsque celle-ci leur est sans-cesse exposée comme un lieu de violences ?

Les rapports humains, entre collègues ou conjoints, sont alors l’occasion de laisser exprimer une colère. La violence ici, n’est pas seulement dans les faits mais aussi dans les mots. Entre eux/elles, les coéquipierEs cherchent des moyens de relâcher la pression, ne pouvant s’extraire du martèlement de violences auquel ils/elles font face, et finissent par devenir eux/elles aussi les oppresseurs des autres. Leur humour même est colonisé par les histoires qui leurs sont rapportées, un humour grave et graveleux, sordide qui se veut libérateur mais qui n’est en réalité que le témoin de leur impuissance.

Le sujet est intéressant, nécessaire même dans un contexte où les viols et violences sont minimisés. Pourtant Maïwenn prend le parti de créer une œuvre dont la motivation principale est l’exposition des victimes et des sauveurs. Il ne s’agit pas de dénoncer un système qui légitime les violences faites aux mineurs mais bien de placer le public dans une position de voyeuriste qui assiste impuissant au sort tragique de ces protagonistes. Pas de solution autre que la violence pour mettre fin à la violence semble-t-elle nous expliquer. Le sauveur ultime n’est d’ailleurs autre que Joey Starr, le protecteur de la veuve et de l’orphelin, le vengeur démasqué qui nous offre un panel d’actions pseudo-héroïques. En effet, s’il n’était pas là, le violeur-haut-fonctionnaire-protégé-par-la-police n’aurait pas eu sa raclée. Cette raclée que tout le monde attend car ce violeur là n’est pas présenté comme un agresseur comme les autres, il n’a rien à craindre et avoue tout, tout en sachant qu’il n’ira jamais en prison, ce qui irrite fortement Joey Starr le-personnage-qui-ne-supporte-pas-l’autorité-et-les-injustices. Un personnage principal qui ne cesse de m’insupporter de part celui qui l’interprète. En effet, n’est ce pas particulièrement inapproprié de mettre un homme violent - condamné de multiples fois pour avoir battu ses compagnes et une hôtesse de l’air - en position de justicier qui lutte justement contre les violences ? Serait-ce un acte de repentance de sa part ? Et bien non (d’ailleurs même si c’était le cas cela ne légitimerait pas sa place dans ce film) il affirme même dans une interview aux Inrocks (on trouve les mêmes propos dans Next*) pour Polisse qu’au moment des faits « elles avaient frappées les premières »… CQFD.

Là où Maïwenn nous prend en otage, ce n’est pas seulement en réussissant à redorer le blason d’un agresseur en puissance, mais c’est surtout par le montage des faits. La succession de violence exposée plonge les spectateurs/trices dans une tension grandissante : à chaque fois qu’on croit avoir entendu ou vu le pire, on est encore loin de la vérité ; ce qui montre d’ailleurs que la réalisatrice opère une hiérarchie entre les violences. Au trois quart du film, la tension est à son comble, et chacun attend la fin du film pour pouvoir mettre des mots là-dessus et sortir de cet état végétatif dans le quel nous range Maïwenn. Et c’est à ce moment là qu’elle choisi d’introduire du comique. Une jeune femme est interrogée pour avoir fait des fellations à des garçons afin de récupérer son téléphone portable. Éclats de rire de la part de toutes celles et ceux qui sont là pour mener l’enquête et qui lui expliquent qu’on ne fait pas une fellation pour récupérer un portable (et elle de répliquer « mais c’est un beau portable » - les rires fusent à nouveau). En jouant sur la moquerie et en montrant cette agression comme insignifiante, Maïwenn en oublie qu’il s’agit là de chantage et de rapports de domination et non d’une inconscience de la part de cette jeune femme. A ce point de tension là dans la salle, le rire des personnages devient contagieux, une porte ouverte pour relâcher cette tension, un rictus qui tourne au sein du public malgré-lui. Malgré-lui parce que ce passage intégré dans les 15 premières minutes du film n’aurait sans doute pas suscité les mêmes réactions. Là, le choix ne nous ai pas réellement laissé, les images nous happent littéralement et nous intègre au quotidien des flics, nous finissons par voir les choses de leur point de vue. Pendant les deux heures que dure ce film, aucun moyen pour le public de regarder l’histoire avec distance. Aucune piste qui engendrerait une réflexion, rien que de l’affect tel qu’il broie toute possibilité d’imaginer qu’autre chose est possible, que cette situation n’est pas immuable et que les violences font partie de la bonne marche d’un système.

Cette manipulation des spectateurs/trices reflète bien le parti pris de Maïwenn, il ne s’agit pas de s’insurger contre les violences faites aux mineurs mais de constater le fatalisme et l’impossibilité d’en finir avec les violences. Coupez ! Merci. Retournez dans vos chaumières et dites-vous bien que les violences ben, ça arrive, on n’y peut rien.



Lorraine

6 commentaires:

  1. L'idée même que Joey Starr puisse jouer un keuf me donne envie de dégueuler

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  2. Joey Starr était un enfant battu. Je réponds à d'avance à votre question "est-ce que ça justifie ses actes violents envers les femmes" : non mais ça les explique.

    Autre chose, il n'a jamais dit qu' "elles avaient frappées les premières" au sujet des femmes qu'il a battues. Par contre au sujet de sa séparation avec Maïwenn après le tournage de Polisse, il a indiqué "elle a frappé la première". Nuance.

    Cela reste un vieil argument pas terrible pour se défendre, Cantat avait dit la même chose.

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  3. Ah ! Merci Lorraine ! Je n'ai pas vu ce film mais j'ai lu des articles et le résumé le concernant, et je me suis dit la même chose que toi : il est incroyable de mettre un homme réellement violent dans un rôle de justicier. C'est une façon de légitimer l'innaceptable violence masculine et de brouiller les cartes, d'embrouiller les têtes, les pensées, les partis pris. Car on sait bien que quand un acteur joue un rôle, la fiction influence malgré nous notre jugement non de l'acteur mais de la personne qu'il peut être. Mais bon, j'ai lu que Maïwen considère Joey Starr comme le meilleur acteur français d'aujourd'hui… (soupir)
    Je n'ai rien contre le fait qu'un homme violent prenne un virage à 180°, au contraire, mais là, ça a juste l'air d'une mascarade. Le jour où il fera des excuses publiques, et qu'il parlera de sa prise de conscience de sa violence, là oui, JS deviendra intéressant. Tant qu'il ne le fera pas tout en jouant le rôle du révolté gentil, ce sera la confusion, et on en a assez comme ça.

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  4. @ Anonyme : Nous n'avons pas dû lire la même interview, il a effectivement affirmé que Maïwenn avait frappé la première, et il a dit la même chose concernant "la mère de ses enfants"... On trouve ces propos dans différentes interviews, j'ai parlé des Inrocks mais on peut lire ça dans Next aussi...
    J'ai tenu à préciser ces propos car je trouve scandaleux que des tribunes lui permettent de se dédouaner et de se justifier ainsi. Laisser place à la question du premier qui a porté les coups alors que le jugement a été posé et parfois même la peine purgée cela signifie nier les plaintes et les condamnations, cela minimise encore une fois les violences faites aux femmes...

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  5. Au delà de l'anecdote Joey Starr (que je n'avais même pas identifié)...

    Je me reconnais dans la plupart des critiques exposées.

    Ce film nous pousse par différents procédés narratifs à une bienveillance vis à vis des débordements divers et variés de ces policiers.

    Exemple : plutôt que de nous aider à comprendre qu'ils manquent de formation à la gestion de leurs émotions, on nous faire ressentir (penser) qu'avec leur quotidien si difficile il est normale qu'il se foute de la jeune fille au portable.

    Un tas d'autre chose à dire évidemment, d'autant plus qu'on y est allé à deux et que depuis les débats font rages !

    MErci Lorraine pour cette critique stimulante !

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  6. Je me sens déphasée, je ne trouve pas ça drôle du tout, et je trouve ça terrifiant qu'on puisse en rire.

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